Cher Monde

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C’est la troisième semaine que nous passons en famille, isolés dans notre maisonnée, à regarder les jours passer.
Certains se plaignent de ce confinement prolongé, des kilos qui vont s’entasser, des enfants un peu énervés à occuper, des sorties empêchées, des amis éloignés.
Mais pas moi et je sais pourquoi…

Cher monde, je te souhaite la bienvenue dans ma vie et ma maladie toute pourrie.
Depuis deux ans déjà, c’est quotidiennement que je ressens les mêmes choses que toi.
Je ne souhaite pas pour autant faire durer cet instant traumatisant. Mais s’il te permet de mieux me comprendre, de mieux intégrer ce qu’est ma réalité, alors j’ai un peu envie de le remercier.

Cela fait trois semaines que tu dois te protéger d’autrui…
Moi, cela fait deux ans que je me protège de tous les virus qui pourraient m’affaiblir, voire me détruire.
Bien que ce monde extérieur soit dangereux, je continue de l’aimer pour ce qu’il est, la vie quoi.

Cela fait trois semaines que tu manges pour t’occuper, que tu t’inquiètes de ta silhouette de cet été…
Moi, cela fait deux ans que mon corps subit des transformations et des soucis d’alimentation.
Pour ce qui est de ma silhouette, chaque jour, je m’efforce de la trouver chouette et je reste coquette.

Cela fait trois semaines que tu t’acharnes pour occuper tes enfants, que tu tentes parfois de les tenir à distance avec élégance.
Moi, cela fait deux ans que je crains chaque instant que ma mort vienne me priver de ce souffle d’amour et de beauté.
Alors chaque jour, je les embrasse, je les bouffe de bisous et de câlins mes petits chérubins.

Cela fait trois semaines que tu télétravailles peut-être. Tu trouves cela un peu chouette, mais mon dieu que tes collègues même les plus « relou »te manquent, c’est fou. Tu rêves même de boire une soupe à la tomate à la « cafet »?
Moi, cela fait deux ans que je n’y ai pas droit, que le cancer m’empêche ces petits instants partagés autour d’un thé.
J’ai dû faire preuve de créativité pour garder le contact, me motiver pour ne pas sombrer.

Cela fait trois semaines que chaque matin tu te forces à te lever, à t’habiller. Tu te demandes à quoi cela sert si c’est pour ne rien faire.
Moi, cela fait deux ans que je dois me bousculer quotidiennement, supporter mes douleurs en enfilant mes vêtements.
Je n’y arrive pas tous les jours, mais j’essaie de me faire belle juste pour le plaisir de découvrir le regard aimant de mon mari et mes enfants.

Cela fait trois semaines que tu es chez toi, que tu te sens seul. Tu rêves de liberté, de retrouver tes amis pour une « Pizza Party ».
Moi, cela fait deux ans que mes relations sociales sont altérées. Elles ne sont pas inexistantes, mais elles ont beaucoup diminué. Avec l’école des enfants, le travail de mon mari, les activités de mes amis, ils sont nombreux les jours que j’ai passés isolée du monde entier.
Cela n’est pas parfait, mais le téléphone et les réseaux sociaux m’ont beaucoup accompagnée.

Cela fait trois semaines que tu vis un peu au ralenti faute d’activités. Tu as envie d’aller courir, de faire du shopping, de retrouver ton cours de peinture, ou ton prof de natation sexy comme Apollon.
Moi, cela fait deux ans que je vis lentement à cause des traitements fatigants.
Je ne veux pas te mentir, je suis plutôt ravie de ce moment.
C’est la première fois depuis bien longtemps que je ne culpabilise pas d’être plus lente que toi.

Cela fait trois semaines que tu as peur, que tu sais que la mort est juste là, dehors.
Tu as même quelques soucis de sommeil, un peu d’angoisse te tient en éveil.
Moi, cela fait deux ans que je lutte contre les nuits noires et les jours gris de ma petite vie.
Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour transformer les couleurs de mes peurs en appréciant à sa juste valeur tous mes petits instants de bonheur. Je remercie aussi chaque jour qui passe de me laisser en vie.

Cher monde, ne m’en veux pas.
Ne prends pas mes mots comme des reproches un peu moches, ils ne sont pas là pour ça.
C’est un message d’espoir que je t’envoie.
Ce que tu vis depuis trois semaines, je le vis depuis deux ans déjà.
Regarde moi, je suis là, en vie et je souris.
Toi et moi, nous allons sortir de cette expérience encore plus forts et bien meilleurs tu verras.

10 commentaires

  1. Merci ma Valoo de remettre les choses en perspective ! Il faut toujours relativiser et se dire qu’il y a bien pire que notre situation. Bizz et prends bien soin de toi et de ta Maisonnée ! ❤️

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  2. Merci, tu as vraiment très bien exprimé ce que je ressens aussi. L’impression que le monde qui tournait sans nous nous a rejoint dans notre chambre de malade, sauf que même confinée, les personnes en bonne santé reste plus en forme. Ceci dit j ai aussi une sorte d ébahissement par ce que des gens très en forme il y a 3 semaines partent plus tôt que moi qui lutte chaque jour pour me lever.

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  3. oui :-/ Je pense que l’on a eu un atout au début de la crise, c’est que nous sommes conscientes de la menace que représente la maladie et savons que nous ne pouvons pas nous permettre le luxe du déni. Après cancer + coronavirus, ça fait beaucoup comme menaces à la fois. Mais ça fait aussi moins de différence que pour les personnes qui étaient bien portantes parce que nous sommes déjà en mode pas drôle de lutter pour notre survie. Mais au moins pour le cancer, il y a le réconfort qu’il n’est pas contagieux, même si il y a quand même la crainte qu’il touche aussi nos proches.

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  4. Oui c’est exactement ça. On a un peu d’avance sur la gestion de la situation de par notre expérience. Mais nous sommes tous menacés et ça fait encore plus peur avec ce sentiment d’impuissance assez affreux. Avec le cancer, on a l’espoir des traitements.

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  5. Oui, mais le même espoir pour un remède miracle qui résoudrait tout et qu’on attend…Après cela nous prive aussi des quelques joies du monde extérieur que l’on pouvait encore goûter de temps en temps. Ce qui serait bien, c’est que cela permette de comprendre un peu mieux les malades à long terme, notre sensation de vivre dans un monde séparé de celui des bien portants.

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  6. Déjà personnellement si ça pouvait faire comprendre qu’il ne faut pas insister pour me faire la bise quand je dis que c’est dangereux pour moi, même hors coronavirus, ce serait un soulagement. Cela me permettrait de ne pas devoir me confiner tout l’hiver pour éviter les gens :-/

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  7. On a des progrès en terme de compréhension à faire effectivement.
    Mais les choses bougent, on avance… Enfin j’ai envie d’y croire en tous cas. Il faut qu’on y croit.

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