Pomme d’Amour

Il y a tout juste quinze ans de cela, je l’ai rencontrée pour la première fois.
Je ne savais pas encore que cette nouvelle petite vie m’apporterait tant de joie. Mais dès son premier contact, j’ai compris qu’elle et moi ce serait pour la vie. Si je ferme les yeux, je suis encore aujourd’hui, capable de la sentir grimper sur mon corps pour venir s’accrocher goulûment à mon sein. Elle a ce pouvoir de me faire sentir une part de mon corps qui n’est plu, c’est dire sa force à celle-ci.

Je me souviens de tout ce que j’ai pu ressentir à ce moment là, de son attachement inconditionnel pour moi et de sa très probable passion dévorante pour la nourriture.
Elle a pris tout son temps pour venir à ma rencontre, elle s’est même permise de la reporter de cinq jours, préférant certainement rester un peu au chaud et fignoler la poussée de cette petite dent destinée à mieux s’accrocher à mes tétons. Je ne sais pas si elle est Marvel, Fée ou petit Zèbre particulier, mais dès son premier jour elle affiche fièrement qu’elle est particulière, unique et déterminée.

En faisant mieux connaissance avec elle, chaque jour je suis fascinée par les talents incroyables qu’elle dissimule habilement pour les afficher au bon moment un peu comme un « Kinder Surprise ».
C’est ainsi qu’autour de ses quatorze mois, je découvre que, non seulement elle marche parfaitement, mais qu’elle se relève élégamment et court de temps en temps. Je n’aurai jamais vu ses premiers pas. J’imagine qu’elle devait s’entraîner dans mon dos depuis quelques semaines pour me préparer cette surprise telle une jolie gourmandise. De cette même manière j’ai découvert que du haut de ses cinq ans, elle savait faire de la limonade pour sa maman malade. Si je m’en souviens si bien, c’est que ma cuisine s’en est beaucoup plaint. Elle s’est longtemps accrochée à mes chaussettes pour me supplier de faire en sorte que plus jamais cette expérience se renouvelle sans moi à ses côtés.
Mais comment en vouloir à un petit être qui ne pense qu’à une chose, faire briller le regard fatigué de sa maman abîmée.

Elle me fait souvent penser à ces fameux bonbons qui pétillent et crépitent dans la bouche avant de se transformer en douce et moelleuse gomme à mâcher. Je suis très souvent surprise pour finir sous le charme, attendrie par sa si belle âme.
Du haut de ses trois ans, tout en continuant de déguster son déjeuner, elle répond à son copain d’un an son ainé qui lui demande comment on fait les bébés. Elle utilise des termes si précis, si judicieusement choisis, avec le souci de faire bien pour son copain, que c’est moi qui vient de l’avaler cette drôle de gomme à mâcher. Mes joues rougissent de honte devant les adultes spectateurs de la scène, mes yeux brillent de fierté, mon coeur fond par autant d’attention. On me demande où elle a appris cela, est-ce par son frère ainé, je ne le sais pas, je ne le saurai jamais.

Lorsque je pense à ses choix, c’est un plat délicieusement épicé que je vois.
Elle est capable de grande persévérance pour obtenir ce qu’elle désire. C’est de cette manière que ses oreilles ont été percées autour de quatre ans, qu’elle a choisi de faire de la clarinette alors que tout le monde lui conseillait le violoncelle notamment. Mon mari aime dire qu’elle est la seule à qui je ne peux résister, qu’elle détient un super pouvoir qu’il aimerait lui voler. Mais au fond de moi, si je ne résiste pas, si je cède à ses volontés, c’est que je suis fascinée par sa détermination et son air assuré.

En grandissant, on s’est beaucoup moqués de sa drôle de morphologie qui n’est ni un « H », ni un « X » ou une autre lettre que j’aurais oubliée. Non non, elle n’est pas laide, loin de là, elle est même particulièrement élégante. Mais elle a un buste très long en comparaison de ses bras et de ses jambes. Cela signifie plusieurs choses pour moi.
La première c’est que même assise, avec les pieds qui ne touchent pas toujours le sol, elle domine le monde, et c’est exactement comme cela que je la vois. Elle n’est pas volubile, elle aime la discrétion, mais quoi qu’il en soit, on finit par la voir, elle et son magnifique regard noir.
La seconde est que pour accueillir son coeur grand et son estomac gourmand, il fallait bien que son corps s’adapte et laisse place à l’expression de ses talents. C’est une gourmande qui vit au rythme des repas, qui salive au détour d’une odeur d’oeufs brouillés, qui piétine avant l’heure du goûter et qui râle lorsqu’elle est affamée.

Elle est ma Pomme d’amour.
C’est un grand coeur doté d’antennes extraordinaires capables de ressentir aussi bien l’amour que la douleur. Je reste encore subjuguée par ses qualités d’écoute et de bienveillance auprès des femmes qui vivent la même croisade que moi. Depuis un an, elle est membre d’honneur de l’association « les Roses Poudrées », et elle ne fait pas semblant de s’y intéresser, elle s’implique, elle participe, elle demande des nouvelles de chaque femme qu’elle a rencontrées. Elle vit cette expérience comme une grande chance, un privilège qu’elle ne veut pas gâcher, elle en savoure chaque bouchée.

Elle fait partie de mes « proches aidants » en ce moment, elle m’est précieuse quotidiennement.
Elle sait arrêter ce qu’elle fait pour venir s’assoir à mes côtés et me dire « Alors maman, comme vas-tu? Tu travailles sur quel projet en ce moment? s’il te plait, parles-moi des Roses Poudrées ». Mais elle sait aussi poursuivre sa vie et réaliser ses rêves d’adolescente très charmante quand ça lui chante.

Il y a tout juste quinze ans de cela, je l’ai rencontrée pour la première fois. Je ne savais pas encore que cette nouvelle petite vie m’apporterait tant de joie. Mais dès son premier contact, j’ai compris qu’elle et moi ce serait pour la vie. Si je ferme les yeux, je suis encore aujourd’hui, capable de la sentir grimper sur mon corps pour venir s’accrocher goulûment à mon sein. Elle a ce pouvoir de me faire sentir une part de mon corps qui n’est plu, c’est dire sa force à celle-ci.

Je suis curieuse, impatiente de connaître la suite, car sans aucun doute, je vais continuer à être surprise, heureuse, piquée, émerveillée par ce qu’elle va faire, dire et penser.

A ma fille Bertille


2 commentaires

  1. Quel belle hommage à ta si attachante fille. Elle fait partie de ces belles personnes qu’on croise une fois, qu’on aime spontanément et qu’on n’oublie pas….
    J’en ai des frissons à te lire !
    Je vous embrasse
    Carole

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