Fête foraine

5f5e493d-a55b-4415-a0d9-af71214054c2Je me souviens des larmes de bonheur que mes proches n’ont pu retenir devant moi, des messages remplis de tendresse et d’encouragement de mes amis lorsque je les ai informés des résultats de notre rendez-vous durant cette belle journée « pochette surprise ».

Je repense sans cesse à chacun des mots de l’oncologue, je les pèse minutieusement les uns après les autres : « pas forcément de chimiothérapie, reconstruction immédiate possible, petit cancer pas si grave que le premier. » Je souris sans m’en rendre compte lorsque ils résonnent dans ma tête.

J’essaie de savourer ce moment où l’avenir s’annonce plus doux. Mais je garde la tête froide, le cœur distant. Ce n’est pas la première fois que l’on m’annonce quelque chose et tout son contraire en très peu de temps. Alors, il n’est pas question que je m’emballe, je vais attendre que le chirurgien me dise exactement la même chose que l’oncologue. Il a intérêt à le faire, il doit le faire, je veux qu’il le fasse.

Je crois que je serai incapable d’essuyer un nouvel échec, de devoir dire à tout le monde que malgré nos efforts, le crabe est le plus fort, qu’il m’oblige à m’abîmer le corps pour rester en vie. Je sais que la santé n’a pas de prix, que ça n’est pas une cicatrice de plus qui va me tuer, mais s’il est possible d’avoir mieux, alors c’est ce que je veux : le meilleur!

Je dois passer une IRM puis rencontrer le chirurgien. Et enfin, nous aurons un plan de bataille. Ce sont les deux ultimes examens.

C’est mon frère qui se charge de m’emmener à la capitale pour l’IRM pendant que maman garde les enfants : tout va bien, l’autre sein n’a rien. Tant mieux car je n’avais pas vraiment imaginé les choses autrement. On profite tous les deux de ce moment ensemble pour nous confier l’un à l’autre, boire des cafés et refaire le monde. C’est une belle journée, fatigante mais ressourçante, un doux moment au goût de barbe à papa et de pomme d’amour.

Le lendemain, chamboule-tout, on inverse les rôles : mon frère s’occupe des ados et me prépare un joli cadeau et ma maman accompagne son enfant. Je n’ai pas envie d’affronter cet homme toute seule, je ne le connais pas et j’ai vraiment peur même si je suis impatiente. Je suis comme une gamine devant son premier manège.

La veille, nous prenons soigneusement le temps de noter les questions que nous avons à poser. Cette liste exhaustive est le fruit d’un travail d’équipe : mon frère, ma maman, mes enfants, mon mari et moi. Chacun contribue à la réaliser et sait exactement ce qu’on va lui demander à ce chirurgien magicien. Avec ça, nous sommes prêts pour le labyrinthe de glace.

Ma maman me demande tout de même pourquoi j’ai tant besoin de cette liste par écrit… et bien, c’est factuel, c’est concret, c’est un support sans émotion qui me permet de gérer la mienne qui se croit souvent dans le grand huit en ce moment. Comme ça, je suis certaine que si ma tête ou mon cœur perdent la raison durant le rendez-vous, j’aurai ce petit bout de papier qui me dit « on s’emballe pas cocotte, concentre-toi sur moi, il faut que tu sortes de cet entretien avec toutes les réponses à mes questions! »

Après un petit voyage en train, quelques boutiques sur notre chemin, nous voici installées dans une salle d’attente magnifique avec du café, des petits gâteaux et de belles œuvres d’art simples et élégantes. Nous venons d’ouvrir la porte d’un autre monde. Le doc est en retard et c’est tant mieux, nous profitons de ce moment pour apprécier le lieu et la chance que nous avons d’être ici, chez les « pro du lolo ».

C’est un homme élégant, peu chaleureux qui nous reçoit. Il me demande mon dossier, et surtout de ne pas raconter mon histoire pour qu’il puisse faire son propre diagnostic. Je suis tétanisée et ma maman le sent. Il me pose une série de questions auxquelles je réponds timidement.

Il demande à m’ausculter. Il m’observe, il me mesure, bras en l’air, mains sur les hanches, sein à droite, sein à gauche… Si je réussis toutes les épreuves, je vais peut-être gagner la fameuse grosse peluche.

Et là, c’est la magie, monsieur Loyal prend la parole. Cet homme s’assoit près de moi, son visage s’adoucit, il croise les bras, et il m’explique ce qu’il peut faire : « je peux vous faire une mastectomie avec une reconstruction immédiate par une prothèse… ça ne sera pas complètement simple mais c’est largement faisable, ce sera le moins traumatisant avec un résultat esthétique optimal ». Il m’explique toute la démarche ainsi que les risques et les probables retouches à faire en post-opératoire. Il rentre dans les détails de chaque étape et j’aperçois les montagnes russes devant moi, mon cœur s’accélère, je ne le maîtrise pas.

Je sens que ma maman me regarde et me fait signe de la tête pour savoir si je vais bien. Je lui réponds oui mais au fond je n’en suis pas convaincue du tout, et je crois qu’elle l’a bien compris : je suis assis dans ce manège excitée et effrayée par ce qui va se passer.

Franchement, j’ai un sérieux problème en fait, je devrais être hyper heureuse et joyeuse mais non, j’ai encore peur, ça ne me lâche pas un seul instant.

Je suis satisfaite de cette rencontre, des réponses, de la prise en charge qui m’est proposée. J’ai enfin trouvé l’équipe qui me convient, qui correspond à mes attentes. Et je suis soulagée.

Mais je ne suis pas heureuse d’être malade, de devoir me faire encore opérer pour vivre, de devoir souffrir et faire souffrir. Je suis inquiète pour la suite, et elle est proche. L’intervention est programmée dans trois semaines.

Maman et moi rentrons de notre escapade assez tard le soir. C’était une agréable journée en sa compagnie, un joli voyage coloré, pourtant j’ai le bourdon, je ne vais pas très bien.

Mon plombier n’est pas là, et je suis encore en panne. La maison transpire d’amour et de tendresse avec la présence de ma famille. Ils me connaissent, ils savent qu’il suffit juste d’être là près de moi, et me laisser digérer.

Surtout ne pas me dire « t’inquiète ça va aller », ou « tu vas voir ça va être top, tu vas avoir des beaux nénés ». Juste me laisser digérer, encaisser, me projeter, m’autoriser quelques tours de train fantôme. Et puis, qui serait heureux à ma place? Qui n’aurait pas peur de cette intervention? Hein, qui?

Je suis peut-être une guerrière qui n’a pas peur du danger, fan de sensations fortes mais je suis lucide, je ne suis pas dans une fête foraine là. Je sais que quelques petits combats pas simples m’attendent avant de crier victoire.

Mais bientôt je le ferai, au fond de moi, j’y crois.

Un commentaire

  1. Que dire ?.. On ne peut pas imaginer tous ces manèges à sensation !.. Mais envie de te tenir la main et d’être à côté de toi…dans ces attractions…
    Bisous

    Aimé par 1 personne

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