Il y a de cela dix-huit ans, un petit prince aux yeux charmants a fait de moi une maman.
Si l’on m’avait dit que sa naissance donnerait tant d’importance à ma propre existence, je crois que mon premier regard sur lui, ce bébé si joli, aurait été mouillé de larmes apeurées.
Heureusement, personne ne m’a prévenue que ce petit être tout potelé allait, à tout jamais, modifier le regard sur ma destinée.
C’est après de belles années à le faire pousser, lui mon aîné, que le sale crustacé est venu m’informer de ma possible mort prématurée.
Le jour où l’on m’a annoncé qu’un vilain crabe, en mon sein, avait squatté, il n’avait que neuf ans ce petit prince si charmant. J’ai vu là ma vie s’écourter, et ma mort faire de lui un enfant sans maman.
Pour la première fois, j’ai eu peur pour lui, peur de le laisser seul sans la protection de mon fameux « utérus géant » que j’ai développé au fil des années.
Pour la première fois, je me suis dit qu’il n’était pas à l’abris, qu’il pouvait souffrir à cause de sa maman qui pourtant l’aime aveuglément.
Bien heureusement pour nous, bien heureusement pour moi, le crabe ne m’a pas tuée, je me suis relevée.
Il y a de cela dix-huit ans, un petit prince aux yeux charmants a fait de moi une maman.
Notre histoire poursuit son chemin jusqu’au jour où c’est à son tour, du haut de ses quatorze ans, que la maladie me faire croire que je peux compter ses jours. Un petit trou dans le poumon, quelques opérations sans voir de solution m’ont fait perdre la raison.
Ce jour là, j’ai prié Dieu pour qu’il me choisisse, pour qu’il laisse grandir ce bel homme en devenir.
Ce jour là, j’ai compris qu’il se relèverait même sans moi ce petit gars.
Ce jour là, je n’avais pas peur de mourir.
Bien heureusement pour nous, bien heureusement pour lui, son petit poumon a été réparé, mes larmes ont séché et la vie a continué.
Il y a de cela dix-huit ans, un petit prince aux yeux charmants a fait de moi une maman.
Quelques jours après ses seize ans, ma récidive est annoncée.
Le petit être si charmant est devenu grand et fort intelligent. Mais lorsque je me plonge dans son regard bleu envoutant, c’est à mon bébé que je suis connectée.
Pour la deuxième fois, je dois lui expliquer que les jours de sa maman sont comptés.
Pour la deuxième fois, je dois imaginer le reste de sa vie sans moi à ses côtés.
Et cette fois-ci, je suis prise d’une grande lucidité, je risque de ne pas gagner.
Il y a de cela dix-huit ans, un petit prince aux yeux charmants a fait de moi une maman.
Parce que notre vie n’est pas un long fleuve tranquille, ce joli garçon récidive lui aussi. Son deuxième poumon se dégonfle comme un ballon. Il n’a alors que dix-sept ans, pourquoi lui, pourquoi pas moi puisque je suis déjà toute flagada?
Je prie de nouveau ce fameux Dieu encore une fois, même si au fond je n’y crois pas.
« S’il te plait, qui que tu sois, emporte-moi et laisse-le peinard, mon joli roi, Gaspard ».
Il y a de cela dix-huit ans, un petit prince aux yeux charmants a fait de moi une maman.
Je sais, au fond de moi, qu’il est capable d’avancer seul, qu’il a un super papa toujours là, mais c’est comme ça, je ne l’imagine pas sans moi.
Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas le faire souffrir.
Je veux encore le découvrir ce jeune garçon plein d’avenir.
Je veux encore qu’il me fasse rire avec son humour qui vaut le détour.
Je veux encore l’entendre me dire « maman je t’aime ».
Il y a de cela dix-huit ans, un petit prince aux yeux charmants a fait de moi une maman.
Aujourd’hui je suis en vie pour le voir souffler ses dix-huit bougies.
C’est une telle émotion, c’est tant de bonheur que cela me sert le coeur.
Je remercie tous les traitements et les chirurgies qui ont sauvé ce morceau de vie.
Je suis une maman cabossée, fatiguée, et même pas guérie, mais si heureuse aujourd’hui d’être là pour lui, tout simplement en vie.
Mon utérus géant peut continuer à frimer, à expliquer au monde entier que ce jeune homme, c’est de mon ventre qu’il est né.
Il y a de cela dix-huit ans, un petit prince aux yeux charmants a fait de moi une maman, celle d’un joli roi qu’elle prénomma Gaspard.