Je suis à deux doigts de la dernière la thérapie ciblée, à un mois de la ligne d’arrivée. C’est un peu sur les genoux que je continue dans ma lancée. Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour demeurer concentrée. Mais mon esprit divague et me fait voyager dans des chemins que je n’ai pas envie d’explorer.
J’ai un petit coup de blues, un peu le moral dans les Shoes.
Ce n’est pas la première fois que cela m’arrive, je ne m’inquiète pas de cette dérive.
Chaque matin je force mon entrain, je frappe dans mes mains, je me dis « allez, je vais bien ». Ce n’est quand même pas à quelques mètres du ruban que je vais flancher et me ramasser.
Je résiste comme je peux à ma concurrente, la déprime, qui me marque à la culotte.
Je la vois, elle suce ma roue. Chaque fois que je la sens toute proche, je me mets en danseuse et fonce droit devant moi pour la distancer comme il se doit. Mais elle s’accroche cette dernière, elle doit vraiment être fan de mon joli derrière.
Chaque matin, je cherche un sens à ma journée, un but à réaliser. Je refuse de me laisser dépasser par cette concurrente flippante. Elle n’a pas le monopole du maillot, c’est à moi de lui montrer que tous les jours je peux le décrocher.
Me soigner n’est pas un objectif suffisant pour me tenir dans l’élan. Je dois aussi me réaliser par des missions qui n’ont rien à voir avec mes nichons. En écrasant la pédale, je m’astreins à penser aux belles choses à venir : la rentrée exceptionnelle de mes enfants, les quelques jours de trêve dans un lieu de rêve et aussi les jolis projets roses poudrés.
Chaque matin, je prends le temps de regarder autour de moi, de remercier le paysage merveilleux que ma famille dessine pour moi. C’est pour eux que je tiens, c’est pour eux que je pédale encore et que je fais des efforts. S’ils n’étaient pas là à m’encourager avec leurs banderoles et leurs sifflets, je m’arrêterais volontiers sur le bas-côté. Parce que j’en ai vraiment marre de cette course infernale.
Mon corps a envie d’arrêter de forcer, il rêve de repos, de massage et même de pleurer.
Chaque matin, je m’oblige à me féliciter du dur travail réalisé pour garder la forme et maintenir mon rythme telle une sportive émérite. Ce n’est pas sans effort, ce n’est pas sans douleurs, mais cela paie. Je suis plus légère, plus musclée et plus tonique, c’est parfait pour ne plus faire l’élastique. Non, je ne lâcherai pas le peloton, même s’il est constitué de déprime, fatigue, douleur ou autres concurrentes qui font peur.
Chaque soir, je me dis que ça y est, c’est demain que je vais passer par la fenêtre, manger la luzerne toute terne. Je me surprends même parfois à rêver de déboîter et de changer de chemin. Tant pis pour l’arrivée, j’ai trop envie d’abandonner.
Chaque soir, je broie un peu de noir. Je regarde mon parcours et constate avec fatalité qu’une partie de mon public s’en est allé. Je suis un peu plus seule chaque jour. C’est bien normal, la vie continue. Mon fameux « tour du Nibard » est bien trop long avec ses points de suspension. Je ne suis pas la seule à en avoir marre. Ah si j’avais le choix, moi aussi, j’irais voir ailleurs pour soutenir un meilleur coureur.
Chaque soir, je perds un peu espoir de retrouver ma vie après tous ces efforts fournis. Mon corps vieillit, ma mémoire flanche, je me sens partir à la dérive. Il est fini le temps ou je crois qu’une petite cure de vitamines me redonnerait bonne mine.
Heureusement qu’après chaque soir, arrive le matin, celui où je retrouve mes forces, celui ou j’ai envie de me battre, celui ou je me sens capable de tout racler sur mon chemin. Le matin est mon allier, mon copain…