
Cela fait maintenant plusieurs mois que les vertiges m’accompagnent quotidiennement sans me laisser de répit. Cela fait plusieurs semaines que les experts me scannent de haut en bas pour identifier ce qui ne va pas chez moi. Je les laisse faire, je me laisse faire, j’attends patiemment la proposition d’un nouveau médicament. Aujourd’hui, ils n’ont rien trouvé de dramatique, ils ont écarté la possibilité d’une nouvelle lésion, d’une petite pince de crabe égarée et j’en suis vraiment soulagée.
Je ne sais pas si cette période de trouble en est la cause, ou si tout simplement le moment est venu, mais je m’imagine chaque jour devant mille morceaux de puzzle étalés devant moi.
Je comprends que j’ai pour mission de les rassembler pour me retrouver.
Je sens que cette nouvelle déconstruction est terminée, qu’il est temps pour moi de me retrouver.
Je sais que le portrait que je vais découvrir sera encore une fois différent du précédent.
Je sais aussi que certains éléments de ce puzzle étaient déjà présents bien avant, qu’ils trouveront parfaitement leur place, qu’ils sont mes bases, mes forces et mes talents.
J’ai confiance, j’ai toujours eu confiance, j’ai déjà vécu cette expérience.
Plusieurs fois dans ma vie j’ai été déconstruite, mais chaque fois j’ai recollé les morceaux, j’en ai trouvé des nouveaux et imaginé un joli tableau.
Je ne sais pas si c’est parce que c’est la fête des mamans, mais depuis quelques jours je repense à des souvenirs de moi enfant. Je revois très clairement la petite fille que j’étais, cette danseuse timide aux cheveux longs et aux yeux bleus « marines » qui faisaient fondre les garçons. Je suis si connectée à elle que je reconnais même certains sons de sa voix parfois.
Je me demande aujourd’hui ce qu’il me reste d’elle.
Je suis convaincue que cette petite fille est encore là, que certains de ses talents, certaines de ses expériences, certaines de ses rencontres ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui.
Je crois que ce sont ces petits morceaux de puzzle que je dois récupérer pour les insérer à leur juste place dans mon nouveau portrait.
Je viens justement de mettre le doigt sur une pièce de puzzle indispensable. Il s’agit d’un coin ou d’un bord, en tout cas, une des premières pièces que je pose là devant moi.
Elle est arrivée dans ma vie alors que j’étais toute petite, je devais avoir deux ans je crois. Elle m’a accompagnée quotidiennement jusqu’à mes onze ans, âge où j’ai dû la quitter pour cause de déménagement. Elle a été mon institutrice, elle m’a appris à écrire, à lire et à compter aussi. Elle a changé trois fois d’école, et bien évidemment je l’ai suivie. Elle connaît sur le bout des doigts tous mes petits amoureux de récréation, au moins Mickael et Nicolas… Elle sait que je rougis lorsque je prends la parole en classe, mais que cela ne m’empêche en aucun cas de surmonter cette difficulté. Elle sait que je suis capable de lui dire « vous », de l’appeler « maîtresse » de neuf heures à dix-sept heures, puis d’entourer mes bras autour de sa taille, de la serrer très fort contre mon corps, de l’appeler « Paulette » et de lui raconter mes aventures de la journée en grignotant ensemble notre goûter.
Depuis toujours je suis en admiration devant elle. Sa douceur incroyable, son petit rire de souris, sa patience à toute épreuve, son regard toujours ému, sont ancrés en moi.
Nous étions faites pour nous rencontrer et je ne remercierai jamais assez ma maman qui a permis cela, qui m’a partagée avec elle en sachant que Paulette avait aussi besoin de moi. Je garde un souvenir magnifique de leurs goûters du vendredi. Elles sont toutes les deux dans la cuisine ou dans le jardin, elles dégustent les gâteaux industriels tout nouveaux, elles ont une vraie passion pour les « Chamonix à l’orange », je ne comprends vraiment pas, c’est trop étrange pour moi.
Elles se parlent d’elles, se racontent leur semaine, se moquent de certaines… Mais elles parlent de moi aussi, elles rient beaucoup et me regardent avec tant d’amour que je crois au plus profond de moi que j’ai ce fameux super pouvoir, celui de donner de l’amour malgré moi.
Paulette n’a pas vraiment d’enfant, la vie en décidé autrement. Lorsque je lui demande si elle n’est pas trop triste, elle me répond habilement que chaque année, elle a au moins une vingtaine de nouveaux petits à aimer, et puis que mon frère et moi, on est là aussi, qu’elle peut nous câliner.
Je pense qu’elle me ment un peu, qu’elle ne veut pas me faire de peine. Je lui souris et change de conversation ou me mets à lui montrer quelques pas de mon nouveau ballet. Elle sourit à son tour, je suis une enfant heureuse et privilégiée, malgré mon jeune âge, je le sais.
Ce qui est certain, c’est qu’elle a été et reste une maman pour moi. Elle m’a entourée de tout son amour, elle a participé à mon éducation et m’a aidée à développer cette confiance que j’ai au plus profond de moi, celle qui me permet encore aujourd’hui de croire que je vais finir par les rassembler de nouveau tous ces morceaux.
Bonne fête à toutes les Paulette de notre vie