L’annonce

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« Allez, ravale tes larmes, prends ton téléphone et appelle ton mari qui attend ton appel. »

Je ne peux pas, je n’y arrive pas, notre vie va changer dès lors que je l’aurai informé. Je ne veux pas le faire souffrir, je ne veux pas qu’il ait peur pour moi, et je ne veux pas imaginer leur vie sans moi. Mon cerveau me joue des tours et m’oblige à traverser les idées les plus sombres à la vitesse de la lumière.

Mais j’ai tellement besoin de lui dire, de ne pas être seule face à ce risque de chute que je me lance, le téléphone sonne, il répond tout de suite.

Mon cœur, c’est confirmé, le crabe est de retour. 

« Ok, mon amour, de toute façon tu le sentais, tu le savais, et même si je ne voulais pas y croire, je m’en doutais aussi. Maintenant il faut qu’on l’annonce pour qu’on nous aide. Ta sœur, ton frère, tes parents, mes parents, et surtout nos enfants.
Mais pour l’instant, appelle ta sœur, c’est la meilleure pour toi dans ces cas-là. »

« Pour notre grand garçon qui vit le doute avec nous depuis deux semaines, s’il pose la question, on est cash et on lui dit.
Par contre, pour la chouquette, notre petite adolescente pétillante, nous attendons que sa correspondante anglaise reparte de la maison avant de le lui dire. Cela va être dur pour elle, et sa réaction est imprévisible. On la connaît cette enfant pleine de surprises et si fragile. »

Mon cœur j’ai peur de leur dire, ils vont tous pleurer, je vais les rendre tristes.
Je vais changer leur vie encore une fois, j’en ai marre, j’ai honte de leur faire ça, je me sens coupable.

« Mais on a besoin d’eux, de nos enfants, de notre famille, de nos amis, que la vie continue, que les projets avancent et qu’ils prennent soin de nous. L’annonce est la vraie première étape d’une stratégie de combat ma chérie : prévenir l’équipe et lui donner les consignes de préparation physique et mentale.

Mon cœur, je t’aime, tu es mon coach, mon âme-sœur.
tu me pousses à me concentrer sur ce seul et unique objectif.

Donc c’est parti, envoi de SMS. Pas très courageux comme technique,  mais cela permet à chacun de gérer ses émotions afin que je ne me les prenne pas en pleine poire tel un match de boxe qui tournerait mal.

J’appelle ma sœur qui ne pleure pas, qui est déjà prête pour l’étape suivante. Elle est incroyable cette petite jeune-femme, vraiment incroyable. Je me sens toute petite face à sa force.

La journée passe à la vitesse de la lumière, je suis dans un état second, mais tout compte fait, bizarrement je vais bien. C’est comme si l’information officielle me libérait d’un gros poids au fond de moi.
C’est quand même surprenant de savoir que j’ai un cancer et que je me sente soulagée au point d’envisager de tomber sereinement dans les bras de Morphée.

Nous informons notre grand garçon qui comme toujours est particulièrement fort, doux, fin et intelligent à la fois dans ses questions et réactions. Je crois qu’il est triste mais qu’il est aussi déjà passé en mode combat. La grande classe ce petit gars.

Quelque jours passent, nous tentons de faire notre vie le plus normalement possible. Et ça y est, nous pouvons le dire à notre princesse. Elle n’a que 13 ans. Elle a le cerveau d’un adulte et le cœur d’un enfant et nous ne savons pas lequel va l’emporter face à cette annonce, on a peur.
Finalement, c’est son cœur qui gagne, elle est envahie par les larmes durant plusieurs heures, et nous sommes tous les trois auprès d’elle. La maison est toute calme en dehors de ses pleurs, on se parle très peu, on se câline jusqu’à pas d’heure.
C’est un après-midi spécial qui nous ressert, rien n’existe autour de nous, en dehors de notre noyau familial. On digère, on se prépare sans en avoir l’air.

Ça y est, on se marre, on rigole, on blague, on va voir les biquettes sur le bord de la Loire, c’est la nouvelle attraction. L’une d’entre-elle est baptisée Caroline, allez savoir pourquoi.

Lundi, nous reprenons nos petites routines. Nous sommes prêts, on va le dégommer ce petit morveux.