Le barrage à aiguilles

IMG_1069Avant d’attaquer le grand col, j’ai encore quelques petites bricoles à faire. Le programme est chargé, j’appelle les amis à la rescousse :

  • Le rendez-vous avec l’oncologue, c’est maman qui s’y colle.
  • Le challenge du rendez-vous avec un cardiologue, tonton Didier l’a gagné.
  • La séance épilation, ma petite Tagada Aciduley a assuré.

Le moment crucial est arrivé, celui qui impulse le début du long chemin, c’est aujourd’hui. Je me fais insérer un nouveau corps étranger, un soit-disant ami de voyage. J’ai envie de l’appeler boîte à musique ou boîtier magique, je ne sais pas trop encore. En tous cas, il est hors de question de lui garder un des ses noms d’usage tout pourris : Port A Cath, chambre implantable, Cathéter t’as qu’à te taire!

J’ai un si mauvais souvenir de cette expérience lors de ma première fois que c’est l’estomac noué que j’appréhende de la revivre : les douleurs atroces de l’anesthésiant, le manque de tact du Docteur « Crétin », et la cascade de larmes en revenant du bloc.

Je crois qu’à l’époque, je n’ai pas pris conscience du sens que prenait l’insertion de ce petit boîtier et que mon seul moyen d’expression avait été d’évacuer mes peurs par une grande crue de larmes glaciales, violentes et tourbillonnantes.

Il représente l’amorce du traitement, indispensable pour que « ça coule de source ». C’est mon Mont-Gerbier à moi, la nana des bords de Loire.

Avec lui, j’associe le début des os douloureux, des nausées, de ma belle tête chauve, de mon maillot intégral, et des surprises diverses et variées.

« Ouvre les vannes mon ami, laisse faire les courants et leur capacités d’infiltration, ils vont conduire le produit tout en toi, dans le moindre des petits recoins, et après tu verras bien. »

Aujourd’hui, j’ai une longueur d’avance, j’ai déjà l’expérience, je sais ce qui m’attend. Cela n’empêche pas la peur qui demeure, mais la musique que j’entends est différente, elle est plus douce et plus lente, c’est bon signe je crois, ma Loire est calme.

Nous voici arrivées, avec ma copine Mistinguette, dans cette clinique si particulière qu’elle justifie des dépassements d’honoraires, même si parfois ça me fait mal au derrière. Ici, je ne suis pas un numéro de Cathéter, je suis Madame Legrand des bords de Loire, j’ai un deuxième cancer, alors rien n’est trop beau pour me plaire : douceur, convivialité, écoute, humour, bienveillance, petit café, tout y est. Ma Mistinguette est impressionnée et rassurée par tant de qualité.

« Ne vous en faites-pas Madame Legrand, vous êtes entre de bonnes mains, ce Docteur au nom russe va s’occuper de votre petit barrage à aiguilles l’air de rien, vous ne verrez pas le temps passer et tout sera parfaitement bien inséré ».

Ah, ça y est je lui ai trouvé son petit nom : le barrage à aiguilles, c’est beau n’est-ce pas?

Dans la salle d’attente, nous rencontrons une petite dame qui me dit à quel point ce Docteur « Zinzin », en plus d’être particulièrement compétent, est drôle, gentil, et charmant. Je vais passer un agréable moment. Nous rigolons ensemble, j’essaie d’apprendre quelques expressions russes pour lui faire grande impression lorsque je vais le rencontrer mais je n’y arrive pas, la Mistinguette se moque de moi.

Installée au bloc, je vois arriver un drôle de monsieur équipé d’un tablier rouge des 101 Dalmatiens, des petites lunettes rondes dorées d’un Harry Potter qui aurait décidé d’être pris un peu au sérieux, une enceinte « Bose » sous le bras, un portable dans l’autre main, une musique classique arrive jusqu’à moi. Notre installateur de barrages à aiguilles travaille en musique et en parlant énormément semblerait-il. Au premier échange, il est drôle et me met en confiance, on se comprend, enfin je crois, il fait peut-être son cinéma…

Les trente minutes à ses côtés, entre ses mains de Docteur « Zinzin » sont encrées à vie dans mon esprit. Il pose au moins 400 boîtiers par an ce Monsieur, et pourtant, je me sens unique. Il me dit clairement qu’il ne se souviendra pas de moi, mais je m’en fous, ça ne se sent pas.

Je suis impressionnée de l’attention qu’il porte à mon égard, la douceur de chacun de ses actes, son dynamisme, et surtout cet engagement qui semble presque disproportionné. Il ne cesse de me parler, de me questionner, de blaguer. Je n’ai pas un instant de répit sans bruit, sans vague, c’est agité mais le rythme est si juste et si bon, je me laisse porter.

Au fond de moi, je me dis « purée, j’espère qu’il en garde un peu pour sa famille et ses proches, parce que là, il met le paquet, il doit être super fatigué de retour à sa maisonnée ». Il a très mal à l’épaule ce jour là et il ne s’en cache pas, mais quand je vois ce qu’il donne à ses patients, comment cela peut être autrement?

J’espère que quelqu’un lui chuchote ou lui crie de prendre soin de lui et assurer le plus longtemps possible ce talent merveilleux qu’il possède : transformer une excursion douloureuse sur un fleuve déchaîné en un petit voyage sympathique sur un canal romantique.

Merci (Spacibo) Docteur Zinzin, moi je suis ValooCroft, et quand je pense à vous, les images du film « la vie est belle » m’arrivent en pleine tête. Ça me plait et ça m’inquiète.

4 commentaires

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s