Pour la plupart des gens c’est la rentrée mais pour moi c’est la récré. La fin du deuxième cycle de chimiothérapie vient de sonner, l’heure du bilan mi-parcours est arrivée.
Je n’ai pas obtenu les félicitations du jury mais les commentaires sur mon bulletin sont encourageants :
- Chimie : vos résultats de prise de sang sont très satisfaisants, même les globules blancs.
- SVT : bravo pour vos 6 premières chimios, mais vous devez surmonter votre tendance à baisser les bras de ces dernières fois.
- Physique : la cicatrisation est parfaite, des séances de kiné devraient faire progresser la mobilité de votre néné.
- Sport : un très bon début mais vous êtes capable de faire mieux, persévérez.
- Philosophie : une approche simple et authentique des sujets étudiés, n’hésitez pas à les partager.
- Vie de classe : profitez des récrés pour vous amuser, vous ressourcer. Relâchez la pression.
- Appréciation générale : Votre motivation et vos efforts vous ont permis d’obtenir de bons résultats. Ne vous découragez surtout pas, vous êtes sur le chemin de la réussite même s’il est un peu chaotique.
C’est plutôt pas mal, non? Une bonne raison de vivre cette deuxième pause sereinement et profiter de chaque instant. Pourtant, je n’y arrive pas vraiment, et quand je regarde devant, j’observe le néant.
C’est la rentrée et moi je suis plantée là, à l’orée de cette cour de récré, à regarder tout le monde s’éloigner. Je reste figée comme une petite fille terrifiée à l’idée d’être abandonnée.
La cour est vide, je n’ai plus personne pour jouer à la marelle ou à 1,2,3 soleil. Je dois me rendre à l’évidence, il est temps pour moi de rentrer à la maison et d’enfiler mes chaussons. C’est une véritable punition.
Je ne les retiens pas, je ne résiste pas, je n’ai pas le droit de les empêcher d’avancer, d’apprendre et grandir comme il se doit.
J’ai de la tristesse en moi alors que je devrais savourer ce moment au regard de mon joli bulletin car tout va vraiment bien.
Je suis fragilisée et déstabilisée par ce déséquilibre dans mon quotidien. J’ai honte de me sentir à terre, sans envie de me relever par peur de constater tout ce que je suis en train de louper.
J’aurais tant aimé choisir mes plus beaux escarpins, le rouge à lèvre qui va bien et rejoindre mes copains. Redonner le sourire à un collègue enfoui dans ses problèmes, éclairer la lanterne d’un manager embourbé dans ses dilemmes, aider un collaborateur à donner le meilleur, tous ces moments me manquent terriblement.
Me voilà consignée au rayon de mère au foyer au corps cabossé, j’en suis désolée mais ça ne me fait pas vibrer.
Je suis jalouse de voir mes enfants adosser leur cartable pour explorer et s’ouvrir au monde. Moi, je reste seule à la maison à apprivoiser mon nichon et faire taire ce cancer.
Je suis jalouse d’entendre mon mari me parler de ses résolutions de rentrée, de ses nouveaux challenges et difficultés, moi aussi j’en veux !
Je ne suis pas à mon avantage en petite élève coincée et envieuse mais c’est une réalité que je ne peux pas cacher entre deux cahiers.
J’ai bien trop peur d’être percée à jour par les surveillants dans la cour. Ils me proposent des sorties, des visites, des balades. Ils ont compris que je devais être divertie et détournée de cette rentrée qui me fait râler.
C’est une étape de plus dans ma croisade. Elle est agaçante mais ne me fait pas souffrir, elle est juste là, bien présente et je dois la traverser.
J’ai besoin de l’écrire pour me l’approprier, et la partager pour me délivrer.