Je ne sais pas si c’est la perspective de l’arrivée, le fait de m’attendre à percevoir très prochainement le sommet, mais à quatre séances de la fin de la chimiothérapie, je sens ma tristesse me lâcher les baskets.
Ce poids s’éloigne de moi sans bruit et sans mot. Je ne sais pas pourquoi j’étais triste, et je ne sais pas pourquoi je le suis moins.
J’apprécie de retrouver un pas plus léger, mon envie de rigoler au lieu de pleurer, mon désir d’avancer plutôt que de renoncer.
Je ne suis pas au taquet, faut pas rêver, mais sur le bon chemin, je le sens bien.
Certes, il est caillouteux, boueux, dégueu, mais il est suffisamment sécurisé et balisé pour que je puisse continuer à mon rythme sans chuter. La pente est raide et me donne le vertige, alors j’avance lentement en regardant droit devant. Doucement mais sûrement, chaque jour qui passe me rapproche du bout même si je dois finir sur les genoux.
Je ne suis pas au taquet, faut pas rêver, mais sur le bon chemin, je le sens bien.
La météo n’est pas toujours clémente. Quelques nuages menaçants tentent de m’intimider. La température de mes muscles monte au fur et à mesure de l’effort. Les produits dopants de ménopause y sont sûrement pour quelque chose. J’ai encore souvent les larmes aux yeux, mais elles rafraîchissent ma peau asséchée par cette rude traversée, alors je les laisse couler. Ça va peut-être leur éviter de stagner dans mon corps tout enflé.
Je ne suis pas au taquet, faut pas rêver, mais sur le bon chemin, je le sens bien.
Et puis, ce n’est pas la performance qui compte, c’est la réussite. Atteindre ce sommet est déjà un bel exploit en soi. Je n’ai pas l’énergie du départ, ni l’illusion que c’est facile et que j’ai du style. Je perds mes sourcils, mes cheveux un peu et j’ai des valises sous les yeux. Je préfère même mon jogging à mes escarpins Louboutin. Je suis en quête de confort dans mon nouveau corps. Il ne me plaît pas comme il est, mais je ne vois pas d’autres moyens pour avancer que de l’accepter avec ses petits bourrelets et ce drôle de néné.
Je ne suis pas au taquet, faut pas rêver, mais sur le bon chemin, je le sens bien.
Pourquoi ignorer ce qui est là? Pourquoi lutter contre plus fort que soi? Pourquoi pleurer sur les pas qui sont derrière soi?
Je suis en train d’accepter je crois. C’est encore fragile, fébrile et naissant mais je le sens si fort.
Je suis en train de dire oui.
Oui je suis malade, j’ai un cancer,
Oui je souffre, et c’est normal, non?
Oui j’ai besoin d’aide, et alors?
Oui j’ai des hauts et des bas, et puis quoi?
Je ne suis pas au taquet, faut pas rêver, mais sur le bon chemin, je le sens bien.
Accepter de demander de l’aide quand je n’y arrive pas, accepter de pleurer dans les bras de quelqu’un qui me tend les siens, accepter de me sentir laide et faible. Accepter que le chemin est long et douloureux parce que je sais qu’il a une fin heureuse.
Je crois que tout cela est possible grâce à la douce voix dans l’oreillette qui m’a dit « tu sais, dans un effort comme le tien, c’est avant l’arrivée qu’on sait que c’est gagné. Pas besoin de rompre le ruban, le bonheur arrive avant, et c’est imminent pour toi. »
Cette phrase magique résonne en moi, c’est dingue. Elle a raison, bientôt j’atteindrai le sommet du renouveau. Elle m’aide à accepter ma traversée telle qu’elle est, et me permet de laisser ma tristesse s’évaporer.
Jamais je ne la remercierai assez de m’avoir éclairée et tenu la main pour ne pas perdre pied.