Chaque semaine qui passe me rapproche de l’arrivée, et bientôt c’est en jours que je pourrai compter. Je viens de franchir dix étapes, je peux enfin entrevoir le ruban de la victoire. Je n’ai plus que deux séances de chimiothérapie et je pourrai clamer haut et fort que c’est bel et bien fini.
Je me surprends à regarder derrière moi sans avoir peur de passer par dessus le guidon et m’exploser le front. Plus rien ne peux m’arrêter, je n’ai pas envie de freiner, je suis sur ma lancée. J’avance le sourire aux lèvres, la tête haute, le buste gonflé de fierté. Je ne pense plus au poids de mon sein droit, il fait partie de moi.
Pourtant, je n’ai pas l’énergie du début, et encore moins la naïveté. Je ne suis pas en très grande forme, il faut se l’avouer. Mais qui le serait après tant d’efforts sur une si courte durée?
Ces dix séances de chimiothérapie m’ont bien abîmée. Ma carcasse est aussi sèche à l’intérieur qu’à l’extérieur, mes muscles se manifestent et hurlent de douleur, mes poils se comptent en dizaines, mes cheveux s’échappent de mes doigts malgré le port du casque obligatoire, mon visage est anesthésié, mes pieds et mes mains sont engourdis dès le matin, mon corps est gonflée comme un bouée, mes cicatrices n’hésitent pas à se manifester et mon souffle est saccadé.
Je suis parfois si fatiguée que j’ai du mal à me lever. Mais je sais que ça va passer, que mes deux pieds ne vont pas me lâcher. Alors, je les regarde et je leur parle… oui, je parle à mes pieds, non, je n’ai rien consommé… et je leur dis « pas de souci, on prend le temps, on va y arriver ».
Si j’ai réussi à traverser dix séances de chimiothérapie sans m’effondrer, je suis capable d’en supporter deux de plus sans pleurer. C’est presque de la rigolade, une petite balade.
Je sens cette petite flamme au fond de moi si vivante et flamboyante. Elle me donne la confiance et l’arrogance d’une gagnante. Je défie quiconque de tenter de me détourner de mon chemin, ça ne sert à rien, j’ai mon destin en main.
J’ai envie de m’en réjouir, mais je n’ose pas. On ne sait jamais, si quelqu’un là-haut ou là-bas me regarde et profite de mon air assuré pour venir me pousser sur le bas-côté. Alors je ne m’énerve pas, je reste concentrée sur cette traversée qui n’est pas complètement terminée.
J’ai envie de hurler que j’y suis presque, mais je n’ose pas. Même si l’arrivée est proche, elle n’est pas encore là, tout peut chavirer, je le sais au fond de moi. Il faut attendre les résultats. Crier victoire avant l’heure pourrait porter malheur. Je croise les doigt derrière mon dos, ça suffit les bobos, je n’en veux plus, ça n’est pas rigolo.
J’ai envie de crier que je suis forte et courageuse, envie de faire la frimeuse, mais je n’ose pas. C’est quand même une traversée qui n’a rien d’une randonnée. J’ai surmonté les embûches et la chaussée déformée. Mais tant d’autres femmes le font au moins aussi bien que moi, sans en parler, sans se montrer. Elles ne ressentent pas ce besoin de le partager et pourtant elle la grimpent cette montagne comme moi.
J’ai envie de me dire que le plus dur est derrière moi mais je n’ose pas. Et si je me trompais, si je me mentais pour ne pas devoir faire face à une réalité que je n’ai pas encore soupçonnée? Je me refuse de penser au pire, je préfère garder le sourire.
Je n’ai pas encore passé la ligne d’arrivée que mes pensées sont toutes concentrées sur la suite des festivités.
- La thérapie ciblée qui dure un an, elle va me faire quoi exactement ?
- Les finitions sur mon nichon, c’est pour avant ou après le bilan de mon ganglion?
- Et le sein gauche, on lui fait quoi, juste une petite beauté ou lui aussi on doit le couper?
- Mon barrage à aiguilles, on l’enlève quand? Dès que j’ai fini la chimiothérapie ou dans dix ans?
- L’hormonothérapie qui doit contrôler ma vie durant cinq ans, elle est faite de quels médicaments?
Tout cela pourrait me faire perdre les pédales, me désorienter au point de chuter, mais bizarrement ça me donne de l’élan.
Je veux profiter chaque instant de ce sentiment de plénitude enfin retrouvé. Elle m’a lâchement abandonnée quelques instants mais m’a enfin rejoint en chemin. Je ne peux pas l’apprécier complètement, je suis en pleine ascension, chaque respiration nécessite toute mon attention. Mais je la sens à mes côtés comme une amie fidèle qui veut m’aider.
C’est incroyable, aucune blessure, aucune diversion, aucun adversaire n’affecte le petit bout de femme que je suis. Mais chut, je n’ose pas le dire ça non plus. Peut-être que le vilain crabe a des oreilles malveillantes qui le pousseraient à sortir ses pinces méchantes pour m’empêcher de terminer ma pente.
Mais à vous je le chuchote parce que vous êtes mes potes : je me sens bien, je me sens forte.
Presque honteuse d’oser se réjouir… !
Un jour, le chirurgien m’a dit…. alors qu’est ce qui a été le + difficile ??? L’opération ? La chimio? La radiothérapie ?? Il ne m’a fallu que quelques secondes pour lui répondre : rien de tout cela, c’est la peur le pire!! Car la peur est là à chaque instant. C’est vraiment une maladie très moche !
Courage pour ces dernières séances!
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courage ma Fille pleins de bisous
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